First Performed 1988, Royal Court Theatre Upstairs.
Downfall
The principle of
subversion governs this
writing through this
fundamental reversion
which alternates
opposites and restores
their energy and
momentum. Motton's is
therefore the opposite of
most contemporary
works
(Arnaud Rykner)
Ambulance was followed after only a few months by "Downfall" a very different sort of play where I had gone much further, and it seems, left audience and critics far behind. A splendid and memorable production directed again by Lindsay Posner who strove successfully to match the freedom and inventiveness of the writing. A new kind of theatre was being forged, but it was not to be. It was my downfall, and the deluge of opprobrium from newspaper critics frightened managements. It was more or less the end of my career in Britain, just after it had begun. I had blasted the way forwards however and writers such as Caryl Churchill and Martin Crimp, who were very much inside the embattled management, on the script panels, were able to benefit from the freedom my writing had created, while battening down the hatches against the intruder. Caryl Churchill was already seriously successful, but also had shown herself to be capable of formal flights of imagination- she had got away with it, possibly by virtue of being a reliable part of the establishment. If she wanted the new writer to succeed and be accepted, as she indicated to me she did, then she failed to bring it about despite her senior position within the Royal Court. I was not artistically or politically acceptable, and they knew they had in me someone they couldn't control. I indeed went on to criticise and attack the theatre establishment, not just artistically but at the fundaments of their middle-class version of left wingism. The artisic clash was the beginning of a class war that the middle class left establishment won easily. The rest of my career was spent in internal exile. While I rose to some prominence in France where a more intelligent and less defensive response was instantly forthcoming, only four of my plays were produced in Britain, in the smallest theatres, over the next thirty years.
The Critics were naturally very disparaging, and offended by the play not offering them a clear and political narrative they were familiar with. They vented their annoyance not only on me, but, very unfairly, on the production which was excellent - the director Lindsay Posner and the cast did a fantastic job and, no matter what the critics said, it was a pretty exciting production full of spectacle. If every single word I had written was gibberish (and some critics said it was) then the production alone made it an entertaining and original evening that brought something to British theatre that you didn't often see. You see it now, sometimes, but you didn't then.
So, while Downfall was my downfall in England, it was produced in France and directed by Claude Regy. On the morning after its opening it featured prominently in all the newspapers, Le Figaro, Le Monde, and La Liberaton, announcing me to be a major discovery.
Exciting critical interlude; On the steps of the Royal Court, Lyn Gardner interviewed me. We played ping pong for a while, as I refused to accept her invitations to say what she wanted me to say. She kept trying, she seemed to have something on her mind, which the director who sat in, couldn't seem to answer with his helpful feeds. Finally, in a tone of exasperation she said;"Oh! Just tell me who you vote for!" Aha!! so thats what its all about.
The context of this of course is that theatre had in those Thatcherite days become a hugely predictable turkey-shoot for sanctimonious so-called leftwing playwrights, (all of them) to add their tuppence worth of condemnation of the Tyrant. How they could be bothered I just don't know. The polarisation of politics had a disasterous effect on the arts, making it predictable and puerile. I could hardly believe that such a question could be of any interest in those circumstances. For me the question to ask was more like; "What version of sanctimoniousness are you using to help your career in the arts?"
Lyn Gardner, Our most loved theatre critic, known for her ground-breaking work on somnolent audiences.
Le pendu, l’infirme et l’ambulance
Arnaud Ryknerr
Article paru initialement dans Le Maillon/Apartés, nº 2, décembre 1994
“ Je sais que j'étais pendu
A l'arbre balayé par le vent
Pour neuf longues nuits,
Percé par la lance
Et offert à Òdin :
Moi-même donné à moi-même
Sur cet arbre
Dont nul ne connaît
Les racines. ”
Snorri Sturluson, L’Edda
“Et nous : spectateurs toujours et partout,
tournés vers tout cela et jamais vers le large.
Nous en sommes débordés. Nous y mettons de l’ordre.
Tout s’effrite. Nous l’ordonnons à nouveau
et nous tombons nous-mêmes en poussière.
Qui donc nous a retournés de la sorte que,
quoi que nous fassions,
nous avons toujours l’air de celui qui s’en va ? ”
Rainer Maria Rilke, Elégies de Duino, IX
Les textes de Gregory Motton ont une particularité inhabituelle, qui fait partie du
plaisir étrange qu’ils procurent : il faut les lire la tête en bas… à l’imitation du
pendu des Tarots, image obsessionnelle de ses pièces, qui nous montre le sens qui
est le leur. Les pieds attachés, suspendu dans les airs, le héros mottonien, sacrifié
comme l’Ecrivain dans Chutes ou Tom dans La Terrible Voix de Satan, contemple
le monde, révolutionné par son regard. Le bas est en haut, le haut tombe en bas.
Haut et bas (le “Très Haut ” et “Très Bas”) s’intervertissent ainsi sans qu’on
puisse finalement leur assigner une place. Le principe de subversion qui préside à
cette écriture passe par cette réversion fondamentale qui fait alterner les
contraires et leur redonne énergie et dynamique. Motton va donc à l’opposé de la
plupart des œuvres contemporaines pour lesquelles, comme il le disait dans The
Guardian, “il n’y a aucune tension entre le haut et le bas, aucune colère, aucun
désaccord. Ce qui monte est la même chose que ce qui est en haut. Ce qui passe
pour de la rebellion est de la conformité. ”[1] Tout est polarisé, blanc ou noir, noir
ou blanc, à sa place – rassurante comme il se doit.
Chez lui, en revanche, l’ambiguïté est de rigueur – ou, pour mieux dire, l’
ambivalence, sous le signe de laquelle toute son œuvre est placée. Ses clochards
ne sont pas des saints, martyrs de la société, ou des voyous en mal de révolte. Ils
sont saints et maudits, élus et déchets. En fait, aucun de ses personnages n’est
jamais un; ils éclatent tous en une multitude de possibles, mettant au jour un
véritable trafic d’identité, qui fait par exemple se transformer Madame Vanessa
en Homme Violent puis en Homme de la Tour (Chutes), l’Homme Sec en Invité
de la fête puis en Homme Araignée (Satan), des SDF en ambulanciers (Johnny et
Louise puis Mary et Clivey dans Ambulance)… jusqu’au sexe des personnages qui
est parfois aléatoire, comme si l’androgynie était inscrite au cœur de tous (“J’en
ai assez de tout ce travestisme ”, dit ironiquement un des personnage de Chutes).
Motton rejette ce qui sépare les choses ou les êtres, les mots qui figent et
prétendent dire l’unique (nombreux sont d’ailleurs chez lui les mots à double ou
triple sens, qui tirent la langue aux “traducteurs ”). Toute tentative pour dire le
beau et le laid, le bon et le mauvais, est vaine et nocive; ceux qui veulent trancher
entre l’un et l’autre (comme Nellie dans La Terrible Voix de Satan, qui réclame
un guide pour lui indiquer le bien et le mal) nous conduisent à notre perte (à
Nellie, toujours, le prêtre anathémisé répond d’ailleurs clairement : “Je suis la
dernière personne à voir pour ça ”). Ciel et enfer se rejoignent, et Motton n’est
pas étranger à la “double postulation ” baudelairienne. Là encore le Pendu est
emblématique. Il tend les bras vers le sol, subissant les effets magiques de l’
attraction tellurique, appelé par la matrice terrestre où il rêve de venir s’
ensevelir ; mais il a les pieds au ciel. A l’inverse (mais on commence à voir qu’il n’
y a ni envers ni endroit), Martin dans Ambulance avance, les pieds dans les
ordures, mais “la tête en arrière, le cou et le menton tendus ”, une paire de
jumelles à la main pour mieux voir les étoiles.
Ce qui sauve tous ces personnages qui croupissent dans les remords de nos villes,
c’est la verticale qui fait d’eux le passage entre notre monde et l’autre.
Chuchotant près de nos poubelles, ils sont reliés au cosmos au-dessus d’eux.
Motton ne se contente jamais de l’horizontale. S’ils ont du mal à tenir debout, ses
héros n’en finissent pas de se redresser, quitte à marcher avec difficulté. Et leur
effort, toujours, les tire vers le haut. Qu’il s’agisse du mât ulysséen de Rolo dans
Chutes, ou de celui de Satan, de l’arbre où est pendu Tom dans cette même pièce
(implicitement un avatar de l’Yggdrasill de la cosmogonie viking), voire des
béquilles de Clivey dans Ambulance, ils trouvent tous un pivot qui les arrache à la
surface où tout semblait les maintenir écrasés. Ils font parfois penser aux
clochards métaphysiques de Beckett, mais ils sont moins pesants que ceux de
Beckett. Leur douleur n’est pas pascalienne; ils n’ont pas le choix entre
souffrance et divertissement : la souffrance est un divertissement, un jeu. La
maladie est leur planche de salut.
Ainsi promènent-ils chacun leur infirmité comme une défense contre l’agression
du monde, beaucoup plus que comme une marque de leur déchéance ou de leur
misère. Dans Chutes, Clancy, qui n’est pas sans rappeler le Clivey d’Ambulance,
ne dit pas autre chose :
Clancy : Donc maintenant je marche les jambes un peu écartées, comme ça,
comme un infirme. Qu’est-ce que tu as pensé quand tu m’as vu arriver ? Tu as
pensé que j’étais infirme, non ?
Carrol : Oui, c’est vrai.
Clancy : C’est toujours ce que pensent les gens, je le vois à leur tête quand j’
approche. Mais bon, ça m’est égal. Au moins ça fait un moment que je n’ai pas été
volé. Même les voyous regardent à deux fois avant de frapper un infirme. Dans le
temps je portais une perruque pour tacher d’y échapper, aux voyous. Pas la
peine maintenant. J’ai ça à la place. Je veux dire, ce qu’il te faut c’est une
protection ou une autre, et maintenant j’ai celle-là, incorporée.
C’est bien non ?
Pour Motton, la maladie n’est jamais simplement négative. Là comme ailleurs, il
brouille les cartes et transforme l’expérience du mal en une aventure salvatrice.
Peut-être parce que tout, autour de lui, prend cette coloration lumineuse. Je
pense à cette première rencontre avec lui, dans une rue de Camden, au nord de
Londres ; nous marchions ensemble dans la rue, en direction du Pont des
Suicides, à Archway, quand un homme au visage rouge, sorti tout droit d’une
scène d’Ambulance ou de Chutes, la jambe fraichement déchiquetée par un
chien, nous demanda de lui indiquer un hôpital, et en échange de quelques
pennies nous fit cadeau de pièces irlandaises, nous embrassant bruyamment,
exultant. Il portait sa jambe d’infirme comme si cette dernière l’avait revêtu d’un
pouvoir. “Le Seigneur a dit "ne prends pas la force comme outil de ton travail
mais la faiblesse" ”, clame triomphalement Tom, dans La Terrible Voix de Satan.
Et c’est aussi ce que font les personnages de Motton. Qu’on n’aille pas voir ici une
visée morale ou religieuse (même si toute son œuvre est marquée par des
réminiscences bibliques souvent troublantes). Il s’agit seulement de se défaire du
manichéisme ambiant, qui divise la réalité et la rend stérile. Il faut mettre à mort
l’arrogance de la bonne santé et des bons sentiments. On ne le redira jamais assez
après lui : “l’art n’est qu’une tentative vaine, vouée à l’échec, d’atteindre la vérité
”. Pour créer, il faut échouer. Pour réussir, il faut rater. Tout triomphalisme est
donc exclu de cet univers qui “choisit ”, comme Tom encore, “les plus faibles
arguments pour rendre compte de son cas ”. L’infirme devient dès lors le héros
par excellence de ce monde en décomposition, où seule la faiblesse a sa chance.
Les “chairs froissées et brûlées ” de Martin dans Ambulance, la “blessure rouge
qui s’étend jusqu’à une oreille sans forme et aux cheveux épars sur le côté de son
minuscule crâne ”, les jambes tordues de Clivey, le spasme de Pédro, ne sont pas
la marque d’un misérabilisme pseudo-social destiné à apitoyer le bourgeois
spectateur. Ils sont la seule voie possible vers une hypothétique rédemption.
Un mal particulier que l’on rencontre dans quasiment toutes les pièces de Motton
résume d’ailleurs la fonction de la maladie dans ces textes, c’est l’épilepsie. On la
trouve aussi bien dans La Terrible Voix de Satan où elle frappe l’Homme Sec et l’
Enfant de la Fille en blanc, que dans Chutes (l’Homme Violent), Un Message pour
les cœurs brisés (Mickey) ou Ambulance (crise de Pédro et écume sur les lèvres
de Martin). Or, ce haut mal, s’il apparaît à première vue comme la manifestation
d’une perte de connaissance, est au contraire toujours le lieu d’une véritable
épiphanie (“Du sel. Du sel, la Vie ”, dit l’Homme Sec de Satan en parlant de la
mousse qui s’est formée au coin de sa bouche). Sur ce plan, la méditation du
Prince Mychkine dans L’Idiot est au cœur de la problématique mottonienne et
mérite un détour (l’univers de Dostoïevski est loin d’être étranger à celui de
Motton):
“Il réfléchit, entre autres, au fait que, dans l'état épileptique, il y avait un degré,
précédent juste la crise en tant que telle (si seulement cette crise arrivait en plein
jour) quand, brusquement, dans la tristesse, dans la nuit spirituelle et
l'oppression, son cerveau, par instants, semblait comme s'embraser, et toutes ses
forces vitales se tendaient à la fois dans un élan extraordinaire. La sensation de la
vie, de la conscience de soi, décuplait presque au cours de cet instant qui se
prolongeait le temps d'un éclair. L'esprit, le cœur s'illuminaient d'une lumière
extraordinaire; tous ses troubles, ses doutes, ses inquiétudes semblaient s'apaiser
tous à la fois, se résolvaient en une sorte de tranquillité supérieure, de joie
complète, lumineuse, harmonieuse, et d'espoir plein de raison, plein de la cause
définitive. […] "Quelle importance, que ce soit une maladie ? avait-il enfin conclu.
Qu'est-ce que ça peut bien faire que ce soit une tension anormale, si le résultat
lui-même, si la minute de sensation, quand on se souvient d'elle et quand on
l'examine en pleine santé, est, au degré ultime, de l'harmonie, de la beauté, et si
elle vous donne un sentiment de plénitude invraisemblable, in-soupçonné, un
sentiment de mesure, d'apaisement, celui de se fondre, en prière extatique, dans
la synthèse supérieure de la vie ?" ”[2]
Comme Mychkine, les personnages de Motton font l’expérience d’une traversée
salvatrice de la souffrance. Plutôt que de revendiquer ce que le monde leur
refuse, ils trouvent dans leur faiblesse leur raison d’exister. C’est leur faiblesse
même qui les fait triompher. Les faux prophètes, les vainqueurs, ceux qui savent
(comme Géronimo dans Chutes ou le Docteur dans Satan), sont
irrémédiablement déchus, faute d’avoir su accomplir le travail de perte qui leur
était demandé. Est-ce pour cela qu’à l’inverse les infirmes sont pourchassés sans
merci ? Ceux qui prétendent les guérir ne veulent en fait que s’emparer de leur
pouvoir. Parce qu’ils renversent tous nos savoirs, défont le jeu bien ordonné de la
société, brouillent le sage ordonnancement de nos valeurs apprises, ils sont une
menace dont le monde cherche vainement à se libérer.
L’ambulance, dont les lueurs traversent ici ou là la scène mottonienne, n’est alors
que l’instrument d’une revanche que cet ordre tente de prendre. Les infimiers se
comportent comme des flics en mal de clients (qui fait d’ailleurs la différence
entre les gyrophares ou les sirènes des ambulances et ceux ou celles de la police
?). Aussi n’est-ce rien moins qu’un hasard si l’ambulance qui sert de titre à la
deuxième pièce de Gregory Motton passe et repasse dans le lointain comme une
menace perverse qui glace les personnages. Dans Chutes, on retrouve la même
lueur, mais devenue explicitement celle d’un projecteur d’hélicoptère, qui traque
l’Homme Violent. Dans La Terrible Voix, l’Homme Sec ne s’y trompe pas
davantage, puisqu’il s’enfuit à l’arrivée de l‘ambulance appelée par Tom.
Aurait-il surpris le dialogue de leurs conducteurs, tels ceux d’Ambulance,
précisément ?
Ambulancier : On nous a appelés pour ramasser un corps inanimé sur le trottoir.
Donc il faut qu’on en trouve un, vous comprenez ?
Ambulancière : On ne va pas rentrer les mains vides.
Ambulancier : C’est exact. Bon on va faire un petit tour dans le coin pour voir si
on peut trouver quelque chose. […]
Ambulancière : Denny, je n’aime pas ce mec. C’est un malade.
Ambulancier : Il faut que tu commences à t’habituer à eux Lise.
Ambulancière : J’ai les doigts qui me démangent. Il me donne envie de sortir le
brancard, tu sais ce que je veux dire ?
Ambulancier : Je sais exactement ce que tu veux dire.
Ambulancière : Je veux dire une transfusion ou quelque chose comme ça.
Ambulancier : Je sais, je sais, je pensais exactement à la même chose.
Ambulancière : Je veux dire je veux commencer à servir les gens. A les aider. Et
ce mec, et celui-là, ils ont besoin d’être nettoyés. Tu sais ce que je veux dire ?
Le plus étrange est que cette ambulance inquiétante qui parcourt les rues de la
ville mottonienne à la recherche d’un corps à emporter s’annonce par une
“musique ” (“Musique d’ambulance ” dit le texte), comme si le bruit même de la
mort se transformait en musique. Tout se mêle, il n’y a plus de frontière entre les
bourreaux et les victimes, entre la mort et la vie, entre la maladie et la santé,
entre la nuit et la lumière, entre le ciel et la terre.
Dans ce contexte, rien d’étonnant finalement à ce que la laverie de la même pièce
soit le cœur d’un royaume fantastique :
“Dans la laverie, toutes les machines en marche. Les machines tourbillonnantes
produisent de la lumière comme des téléviseurs. Leur bruit est une musique.
Musique composée de machines à laver et d’une valse au clavicorde, elle scintille
comme les étoiles. ”
Le bruit, comme celui de l’ambulance, est une musique ; la machine à laver est
une télévision (lavage de cerveau ?) ; la télévision est un ciel étoilé.
Le monde est un chaos. Mais le chaos est la seule issue.
Arnaud Ryknerr
Article paru initialement dans Le Maillon/Apartés, nº 2, décembre 1994